En mars 2021, nous vous avions présenté un cas de jurisprudence dans lequel la responsabilité de la banque avait été retenue par la Cour d’appel de Paris et la banque condamnée pour n’avoir pas vérifié les devis produits, à l’appui de la demande de prêt immobilier faite par des emprunteurs particuliers[1].
Cet arrêt a entretemps fait l’objet d’un recours en cassation déposé par l’établissement prêteur condamné et nous examinons ci-après les principaux arguments invoqués par le banquier pour faire réformer l’arrêt qui l’avait condamné et la réponse de la Cour de cassation.
Le contrat de construction de maison individuelle sans fourniture de plans : Arrêt de la Cour d’appel de Paris du 26 Juin 2020[1]
Nous vous rappelons ci-après le contexte et la décision de la cour d’appel de Paris.
Des particuliers sollicitent un établissement bancaire pour financer leur projet de construction d’une maison individuelle.
A l’appui de leur projet, ils fournissent à leur établissement bancaire deux devis dont un devis émanant de la société X mentionnant «construction de maison individuelle» et le prêt immobilier est mis en place sur base de ces deux devis.
Finalement, les emprunteurs démarrent leur construction suivant un troisième devis émanant de l’entreprise Y pour la somme totale de 132000 euros. Un architecte a établi les plans et le permis de construire a été obtenu en juillet 2012.
Les travaux démarrent en février 2013, une somme de 86 352 euros est réglée à la société Y.
Le chantier est abandonné en juin 2013.
Un expert se déplace sur les lieux et constate de nombreuses malfaçons.
En septembre 2015, le couple de particuliers assigne la société Y, ses assureurs et l’établissement banquier prêteur devant le tribunal de grande instance.
Le banquier prêteur est assigné pour défaut d’information et de conseil[2] et est condamné en première instance.
En effet, selon le premier juge, le banquier prêteur a manqué à son devoir d’information et de conseil pour n’avoir pas refusé de financer la construction des époux X alors qu’aucune garantie de livraison à prix et délais convenus n’avait été souscrite par la SARL Y.
En effet, la SARL Y, compte tenu des lots de travaux qui lui étaient confiés dans le devis, aurait dû signer un contrat de construction de maison individuelle sans fourniture de plans conforme à l’article L232-1 du CCH et suivants et fournir une garantie de livraison à prix et délais convenus.
L’établissement bancaire concerné a fait appel de ce jugement devant la cour d’appel de Paris.
Que dit l’arrêt ?
L’arrêt indique que l’opération financée correspondait de façon manifeste pour un professionnel à celle prévue aux articles L232-1 et suivants du CCH, soit les articles renvoyant au contrat de construction de maison individuelle sans fourniture de plans ; eux-mêmes renvoyant à l’article L 231-6 du même code qui prévoit l’obligation de fournir une garantie de livraison à prix et délais convenus.
La Cour se range donc derrière les conclusions du tribunal de grande instance qui a considéré que le banquier prêteur devait en l’espèce mettre en garde les emprunteurs profanes des risques qu’ils encouraient en l’absence de garantie de livraison.
Elle confirme donc la responsabilité de la banque dans le préjudice subi par les emprunteurs.
Quant au calcul du préjudice, que dit la Cour ?
Suite au défaut de conseil de la banque, dit la Cour, celle-ci s’expose à devoir supporter la totalité des préjudices subis par les époux emprunteurs qui auraient été pris en charge par le garant si une garantie de livraison à prix et délais convenus avait été mise en place comme la loi le prévoyait dans ce cas.
La Cour considère en effet en l’espèce que le préjudice subi ne s’analyse pas en une perte de chance mais bien en un préjudice certain subi par les maîtres d’ouvrage emprunteurs.
Sur ce point, l’arrêt réforme le jugement entrepris qui avait condamné l’établissement bancaire à prendre en charge une partie du préjudice et le fixe à 100%, soit la somme de 234 917,86 euros se répartissant comme suit :
- 18 084€ au titre du défaut de réalisation du drainage,
- 68 774,40€ au titre des désordres affectant la charpente,
- 14 268€ au titre du ravalement,
- 2 880€ au titre du défaut d’implantation,
- 780€ au titre des honoraires du géomètre expert.
- 59 495,88€ au titre des pénalités de retard calculées comme suit : le prix convenu x 2067 jours x 1/3000[3]
- 49 051,25 € au titre du paiement des loyers versés par les époux X dans l’attente de pouvoir rentrer dans leur maison ;
- 21 584,33 € au titre d’une facture de matériaux réglée au constructeur défaillant
Rappelons que le devis de la SARL Y pour la réalisation de la construction s’élevait à 132 000 euros. Il y a donc une décorrélation totale entre le coût du devis et la condamnation de la banque. L’établissement prêteur s’est pourvu en cassation pour faire réformer cet arrêt.
L’arrêt de la Cour de Cassation du 18 Janvier 2023
En premier lieu, le banquier invoquait le moyen (l’argument) suivant lié aux pièces qu’elle avait reçues pour mettre en place le financement :
La banque indique que le devoir de conseil et d’information du banquier prêteur doit s’apprécier au regard des éléments d’information qui lui ont été remis par les époux X. Or, le banquier précise qu’elle avait reçu deux devis, mais qu’elle n’avait pas reçu le devis finalement signé avec l’entreprise qui a réalisé les travaux.
La Cour de cassation ne retient pas cet argument et donne raison à la Cour d’appel qui avait retenu que l’un des deux devis transmis à la banque mentionnait « construction de maison individuelle » et que l’offre de prêt suite à ce devis indiquait « pour financer le terrain plus construction sans contrat ».
La Cour de cassation conclut que compte tenu des pièces remises au banquier, l’opération financée correspondait de façon manifeste « pour un professionnel » à la construction d’une maison individuelle et qu’en s’abstenant d’informer les emprunteurs du risque qu’ils encourraient en cas de conclusion d’un contrat sans garantie de livraison, la banque a manqué à son devoir d’information et de conseil.
En second lieu, le banquier invoquait l’argument ci-après tenant à la notion du préjudice certain retenu par la Cour d’appel :
La banque considère que le préjudice des époux X doit s’analyser en une perte de chance mais pas en un préjudice certain.
La Cour de cassation rejette également ce moyen en ces termes : Dès lors que la Cour d’appel avait à juste titre retenu le manquement de la banque à son devoir d’information et de conseil, elle a avec exactitude déduit que sa faute avait causé aux emprunteurs un préjudice certain consistant en la perte du bénéfice d’une garantie de livraison à prix et délais convenus.
La Cour de cassation[4] rejette le pourvoi de la banque et confirme donc l’arrêt de la Cour d’Appel.
Ce qu’il faut retenir
La banque a l’obligation de vérifier si l’opération qu’elle finance relève d’un contrat réglementé (contrat de construction, contrat de vente en l’état futur d‘achèvement …). Pour ce faire, elle doit procéder à une analyse attentive des documents sur base desquels elle va délivrer le financement.
Si l’opération relève d’un contrat protecteur pour son client emprunteur, elle doit obligatoirement l’avertir des protections auxquelles il a droit et des risques encourus suite à l’absence de ces protections. Elle doit même dans certains cas s’abstenir de financer l’opération litigieuse.
A défaut, la banque risque une condamnation à la prise en charge de la totalité du préjudice avéré qui peut largement dépasser le coût initial des travaux car celui-ci prend en compte la réparation des malfaçons et des désordres, le coût des dépassements du prix convenu nécessaires à l’achèvement de la construction, tous les frais annexes avérés supportés par les emprunteurs (coût du loyer, etc..) ainsi que le coût du retard accumulé dans la livraison du chantier.
Pour rappel, depuis plus de 30 ans, VERIFIMMO procède pour le compte d’établissements bancaires prêteurs à la vérification des contrats de construction de maisons individuelles, des attestations de garanties de livraison à prix et délais convenus et de tous projets de construction et ce, afin de vérifier le respect de ces réglementations d’ordre public protectrices pour le particulier emprunteur.
VERIFIMMO permet ainsi d’éviter aux établissements bancaires prêteurs les situations décrites ci-dessus.
(1) Cour d’Appel Paris, pôle 4, ch. 6, 26 juin 2020, N°18/22030
(2) Article 1231-1 du code civil, anciennement article 1147 du code civil
(3) Article R 231-4 al 1er du CCH
(4) Cass., 3ième civ, 18/01/2023, N°20-20.788