Dans notre précédente newsletter, nous vous avions présenté un cas de jurisprudence dans lequel la responsabilité de la banque avait été retenue par la Cour d’appel de Paris. Une banque a en effet été condamnée pour n’avoir pas vérifié des devis produits à l’appui de la demande de prêt immobilier faite par des emprunteurs particuliers (1), arrêt entretemps confirmé par la Cour de cassation (2).
Nous vous commentons ci-après un arrêt de la Cour de cassation qui condamne à nouveau un établissement bancaire pour manquement à son devoir d’information et de conseil.
Nous allons voir que la cour a rendu dans cette affaire un arrêt particulièrement sévère à l’égard du banquier prêteur en ce qui concerne l’étendue de son devoir d’information et de conseil.
Arrêt de la Cour d’Appel de Chambéry du 9 Juillet 2020(3)
Suivant marché de travaux du 13/07/2011, des particuliers confient la construction de leur maison à une entreprise Y au prix de 214.558,82 euros. Pour financer leur projet, ils contractent auprès d’un établissement bancaire deux prêts bancaires.
Dans l’acte de prêt, il était prévu la clause suivante :
L’emprunteur reconnaît avoir été informé par le prêteur qu’il ne bénéficie pas de la protection instituée par les articles L 230-1 et suivants et R 231-1 (4) et suivants du code de la construction et de l’habitation relatifs aux contrats de construction de maison individuelle, notamment de la garantie de livraison à prix et délais convenus ; des conséquences préjudiciables que peut entraîner ce défaut de protection légale.
L’acte notarié précisait en outre :
[le notaire] a attiré l’attention de l’emprunteur sur le fait qu’il ne bénéficie pas de la garantie de livraison qui est obligatoire, le constructeur devant fournir, au plus tard à la date d’ouverture du chantier, une attestation nominative établie par le garant laquelle doit être annexée au contrat. Cette garantie couvre le maître d’ouvrage, à compter de la date d’ouverture du chantier, contre les risques d’inexécution ou de mauvaise exécution des travaux prévus au contrat, aux prix et délais convenus, de sorte qu’en cas de défaillance du constructeur de M. et Mme X, il n’existe aucune assurance permettant l’achèvement de la construction dans les conditions exposées au contrat. M et Mme X déclarent avoir été pleinement informés des conséquences de l’absence de cette garantie de livraison et notamment celles financières, les accepter et les assumer.
Suite à un arrêt de chantier, des mises en demeure infructueuses sont adressées par les maîtres d’ouvrage à l’entreprise Y, sans succès. Ces derniers intentent diverses procédures dont une à l’encontre de l’établissement bancaire devant le tribunal de commerce de Thonon les Bains pour manquement à son devoir d’information et de conseil.
Le tribunal de commerce de Thonon les Bains constate que :
- La banque a parfaitement satisfait à son obligation légale d’information et de conseil à l’égard du maître d’ouvrage ;
- Le maître d’ouvrage était parfaitement informé des risques encourus du fait de l’absence de garantie de livraison.
Le maître d’ouvrage est donc débouté de sa demande et fait appel de cette décision.
Que dit l’arrêt ?
La cour d’appel de Chambéry précise que : Sur base de l’article L 231-10 du CCH, la banque n’a pas l’obligation de requalifier le contrat car il ne peut s’immiscer dans la convention passée entre le constructeur et le maître d’ouvrage ; mais pour autant elle n’est pas dispensée de son devoir d’information et de conseil à l’égard du maître de l’ouvrage emprunteur.
Le banquier prêteur « a en conséquence l’obligation de déterminer avec son client dépourvu de connaissance juridiques, le cadre contractuel du projet qu’il accepte de financer, en se fondant sur les pièces produites à l’appui de la demande de financement. Il doit ainsi procéder à un contrôle formel du montage contractuel qui lui est présenté dans le cadre du dossier de demande de prêt. Pour que sa responsabilité ne soit pas engagée, il faut qu’il ait pu légitimement penser que ses clients s’étaient adressés à une entreprise avec laquelle ils avaient conclu des marchés de travaux et qu’il ne s’agissait pas d’un contrat de construction de maison individuelle. »
Ensuite, la Cour d’appel constate que la banque s’est fait communiquer deux documents à l‘appui de sa demande de financement – un marché de travaux conclu avec la société Y et un descriptif technique comprenant l’ensemble des lots – et précise qu’il résulte de ces documents que l’entreprise Y :
- A fourni les plans ;
- Assure l’intégralité de la construction ;
- Si des lots sont sous-traités, le maître d’ouvrage n’a pas le choix des sous-traitants.
La Cour en conclut que le contrat conclu est en réalité un contrat de construction de maison individuelle : « Une consultation même rapide, du marché et du descriptif, suffisait pour un banquier normalement diligent, professionnel du financement de la construction, de s’apercevoir que la réglementation d’ordre public n’était pas respectée … »
Mais la cour rajoute également : « Et qu’il ne pouvait y être suppléé par une clause indiquant à l’emprunteur qu’il ne bénéficiait pas des garanties afférentes au contrat de construction de maison individuelle. Certes, le notaire a pris le soin de mentionner dans l’acte qu’il avait explicité expressément aux époux X cette absence de garantie malgré son caractère obligatoire. Toutefois, il est de principe que le devoir de conseil n’est pas atténué en présence d’un autre professionnel. La banque ne peut ainsi s’abriter derrière les précautions prises par le notaire pour que soit considéré qu’elle a bien rempli son rôle de conseil et de mise en garde de ses clients, la clause d’information sur l’absence de garantie ne suffisant pas à l’exonérer de toute responsabilité, s’agissant d’une réglementation d’ordre public. »
Et c’est sur ces bases que la cour d’appel décide de réformer le jugement rendu et de retenir la responsabilité de la banque pour manquement à son devoir d’information et de conseil (5) et de le condamner à réparer le préjudice du maître d’ouvrage(6). Le banquier prêteur forme un pourvoi en cassation contre cet arrêt de la cour d’appel.
L’arrêt de la Cour de cassation du 11/01/2023 (2)
Le banquier invoquait le moyen (l’argument) suivant lequel il avait satisfait à son devoir de renseignement et de conseil dès lors que les contrats de prêt comportaient une clause claire et précise avertissant le maître d’ouvrage emprunteur que le contrat ne lui permettait pas de bénéficier de la protection prévue par le contrat de construction de maison individuelle dont notamment l’existence de la garantie de livraison à prix et délais convenus et précisant que l’emprunteur était prévenu des conséquences préjudiciables que pouvaient entraîner pour lui ces défauts de protection légale.
La Cour de cassation ne retient pas cet argument et confirme l’arrêt de la cour d’appel.
Que faut-il en retenir ?
1/ La banque – qui est considérée comme un professionnel du financement de construction – a l’obligation de vérifier si l’opération qu’elle finance relève d’un contrat réglementé (contrat de construction, contrat de vente en l’état futur d‘achèvement …). Pour ce faire, elle doit procéder à une analyse attentive des documents sur base desquels elle va délivrer le financement.
2/ La cour précise l’obligation de renseignement et de conseil de la banque : Si l’opération relève d’un contrat protecteur pour son client emprunteur, elle doit non seulement l’avertir des protections auxquelles il a droit – contrat de construction de maison individuelle – et des risques encourus suite à l’absence de ces protections – a minima la garantie de livraison à prix et délais convenus.
3/ La cour précise également l’étendue de son devoir de mise en garde et elle va, cette fois, très loin : l’emprunteur avait été expressément mis en garde dans le cadre de la signature de son contrat de prêt qui comportait la clause reproduite ci-dessus. Ces clauses ont pourtant été jugées insuffisantes par la cour d’appel et la cour de cassation valide le raisonnement de la cour d’appel : « .. il ne pouvait être suppléé aux carences du contrat par l’insertion dans les actes de prêt d’une clause indiquant à l’emprunteur qu’il ne bénéficiait pas de garanties afférentes au contrat de construction de maison individuelle. »
Dans un précédent article, nous précisions que :
« …si l’organisation de chantier ne se présente pas au départ comme un contrat de construction de maison individuelle mais qu’une analyse un peu attentive permet de voir que cette organisation de chantier relève du contrat de construction individuelle, elle doit obligatoirement informer son client des protections auxquelles il a droit et des risques encourus en cas d’absence de ces protections. Elle doit même dans certains cas s’abstenir de financer l’opération litigieuse. »
Nous y sommes : à partir du moment où ce type de clauses (de décharge) est jugé insuffisant, la seule solution pour la banque de ne pas voir sa responsabilité engagée est sans doute de refuser purement et simplement de financer l’opération(7).
Pour rappel, depuis plus de 30 ans, VERIFIMMO procède pour le compte d’établissements bancaires prêteurs à la vérification des contrats de construction de maison individuelle, des attestations de garanties de livraison à prix et délais convenus et de tous projets de construction et ce, afin de vérifier le respect de ces réglementations d’ordre public protectrices pour le particulier emprunteur à la lumière de la jurisprudence rendue.
VERIFIMMO permet ainsi d’éviter aux établissements bancaires prêteurs les situations décrites ci-dessus.
(1) Cour d’Appel Paris, pôle 4, ch. 6, 26 juin 2020, N°18/22030
(2) Cass., 3ième civ, 18/01/2023, N°20-20.788
(3) Cour d’Appel Chambéry, 2ième ch., 9 juillet 2020, N°18/02250
(4) A savoir les articles du code de la construction et de l’habitation qui réglementent le CCMI avec fourniture du plan
(5) Article 1231-1 du code civil, anciennement article 1147 du code civil
(6) Pour la Cour, le préjudice allégué résulte de l’absence de garantie de livraison et doit être chiffré au coût des travaux nécessaires pour que la villa soit terminée de façon à être habitable. Le chiffre retenu par la Cour est de 102 760 euros. Toutefois, la cour précise que le préjudice résultant d’un manquement au devoir d’information et de conseil s’analyse en une perte de chance de ne pas contracter un contrat contraire à l’ordre public. La cour évalue cette perte de chance à 50%, ce qui porte la condamnation de la banque à 50% du montant de 102 760 euros. La cour retient ensuite à la charge de la banque un préjudice moral de 10 000 euros. La banque est donc condamnée en appel à la somme de :
– 51.380,16 euros au titre du préjudice matériel ;
– 10.000 euros au titre du préjudice moral ;
– 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile
(7) Cass., 3ième civ, 18/01/2023, N°20-20.788, obs C. SIZAIRE, Construction-Urbanisme, N°4 avril 2023, Pages 27 et 28